LE CONCOURS DES FACADES DE PARIS
- Marie PERROT DURAND
- 24 févr.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 avr.

Je vous propose dans cet article de plonger
125 ans en arrière
au coeur d'un concours architectural
hors norme !
UN CONCOURS POUR EMBELLIR LA CAPITALE
Depuis toujours, Paris se distingue par la beauté et la diversité de son architecture. Mais saviez-vous qu’à la fin du XIXᵉ siècle, la Ville de Paris a mis en place un concours pour récompenser les plus belles façades d’immeubles. Inspiré d'un concours réalisé à Bruxelles dans les années 1875 et instauré à Paris en 1897, le "Concours des Façades" visait à encourager la créativité architecturale et à rompre avec l’uniformité haussmannienne. Il a ainsi permis l’éclosion de véritables chefs-d’œuvre !
Pour encourager les candidats, la ville a alors promis aux futurs propriétaires des bâtiments primés qu'ils seraient exemptés de la moitié des droits de voirie relatifs à leur construction, aux architectes une médaille d’or et aux entrepreneurs une médaille de bronze.
UNE PREMIERE EDITION SOUS LE SIGNE DE
L'ART NOUVEAU
" Ce n’est pas la fleur que j’aime à prendre, moi,
comme élément de décor, mais la tige. "
Victor Horta
L’Art Nouveau va apparaître à la fin du XIXᵉ siècle en réaction aux styles académiques et historicistes comme le néogothique et le néoclassicisme. Il va se développer en Europe et aux États-Unis sous diverses influences : La Révolution industrielle qui va introduire de nouveaux matériaux comme le fer et le béton armé, transformant l’architecture, le mouvement Arts & Crafts, initié par William Morris, prônant un retour à l’artisanat face à l’industrialisation, le Japonisme, avec l’arrivée des estampes japonaises en Europe, inspirant des motifs organiques et épurés, les sciences naturelles, adoptant des formes végétales et animales aux lignes fluides et enfin, l’héritage de Viollet-le-Duc et son approche du gothique, où structure et ornementation sont indissociables.
- LE CASTEL BERANGER D'HECTOR GUIMARD -
Dès sa première édition en 1897, le concours va révéler des bâtiments emblématiques. L’un des plus célèbres en France est sans doute le Castel Béranger, conçu par l'architecte Hector Guimard. Il est situé au 14 rue Jean de la Fontaine dans le 16ᵉ arrondissement de Paris et est souvent considéré comme le premier bâtiment représentatif de l’Art Nouveau en France.
Quelques photos du Castel Béranger ( Wikimedia Commons )
Avant ce projet, Hector Guimard n’était pas encore une figure majeure de l’architecture. Il avait déjà réalisé quelques constructions, notamment des hôtels particuliers et des villas, mais son style restait influencé par Viollet-le-Duc et l’architecture néo-gothique. Ce n’est qu’après un voyage en Belgique, où il va découvrir l’œuvre de Victor Horta, qu’il va adopter pleinement les principes de l’Art Nouveau. Il va alors reprendre les plans du Castel Béranger qu'il avait tout d'abord dessiné dans un style rationaliste.
Le Castel Béranger sera lauréat du Concours des façades de la Ville de Paris en 1898 et ce prix va jouer un rôle crucial dans la reconnaissance publique de Guimard. Avec ses formes ondulantes, son décor végétal et son travail sur le fer forgé, il va marquer une véritable rupture avec l’architecture traditionnelle et lancer sa carrière, lui permettant ensuite de décrocher des commandes prestigieuses, notamment les célèbres entrées du métro parisien dès 1900.
C’est à partir de ce moment-là que Guimard va devenir l’un des principaux ambassadeurs de l’Art Nouveau en France.
- LES ARUMS D'OCTAVE RAQUIN -
L'immeuble "Les Arums", situé au 33 rue du Champ-de-Mars dans le 7ᵉ arrondissement de Paris, est un autre très bel exemple de chef-d'œuvre de l'Art nouveau. Il a été conçu par l'architecte Octave Raquin. Primé en 1904, ce bâtiment abritait initialement le Cours des Demoiselles Longuet, un collège privé. Son nom fait référence aux motifs floraux omniprésents qui ornent sa façade.
Photos Wikimedia Commons
D’autres magnifiques bâtiments de styles Art Nouveau on vu le jour grâce aux premières éditions de ce concours, on peut citer notamment la Maison du Ciment Armé rue Danton d’Émile Arnaud et François Hennebique, premier immeuble entièrement construit en béton armé de Paris, l’immeuble du 14 rue d’Abbeville des frères Alexandre et Édouard Autant, orné de céramiques d’Alexandre Bigot et d'un abondant décor végétal en grès flammé de couleur vert émeraude, également l’immeuble du 9 rue Chanzy d’Achille Champy avec et ses très belles ferronneries inspirées de Victor Horta.
LA RUE REAUMUR
UN VERITABLE LABORATOIRE ARCHITECTURAL
Le concours des façades va laisser une empreinte visible à travers toute la capitale, et la rue Réaumur en sera l'un des plus beaux exemples. Percée à la fin du XIXᵉ siècle dans le cadre des grands travaux d'Haussmann, entre le Palais Brongniart (la Bourse) et les Arts et Métiers, cette rue de plus de 600 mètres va rapidement voir surgir une multitude d’immeubles.
Le tout-à-l'égout sera installé de part et d'autre de la rue, tandis que la voie centrale sera réservée au Métro. C’est Félix Faure qui présidera l’inauguration en 1897.
Les architectes vont bénéficier de l’apparition de nouveaux matériaux de construction ainsi que des assouplissements successifs de la rigide réglementation haussmannienne. Libérés dans leur créativité et stimulés par le concours, ils vont imaginer des bâtiments originaux tout au long de la rue, mêlant harmonieusement pierre, fer et verre, dans des styles variés.
L'arrivée de l'ascenseur en 1885 va définitivement requalifier les parties hautes des immeubles en parties nobles et servir d'émulation créatrice pour ces étages autrefois délaissés.

Les nouveaux immeubles alors très modernes et à forte valeur ajoutée vont attirer la convoitise des entreprises cherchant à manifester leur réussite. L’édification d’immeubles mixtes, associant activités commerciales et logements va refléter le développement économique du quartier autour de la Bourse. Les banques vont s’associer aux maisons de commerce. Le secteur de la confection va réunir à la fois les fabriques textiles, les boutiques de gros et les grands magasins tels que "A Réaumur".
La rue Réaumur peut être considérée comme le véritable marqueur de la fin du style "haussmannien" pur, le symbole d'un nouveau paysage architectural, une période de transition avant l'arrivée des mouvements modernes.

ZOOM SUR LE GRAND MAGASIN "A REAUMUR"
Contrairement aux Galeries Lafayette ou au Printemps, le grand magasin "A REAUMUR" situé au 82-96 de la rue Réaumur visait une clientèle populaire avec des vêtements à prix attractifs, un renouvellement rapide des collections et une organisation moderne inspirée des grands magasins américains.
Il va attirer les foules avec ses immenses vitrines et ses campagnes publicitaires marquantes, comme le slogan "À Réaumur, on trouve tout !" et devenir aussi l’un des précurseurs de la vente par correspondance grâce aux catalogues distribués largement.
Concurrencé par les chaînes de prêt-à-porter et les centres commerciaux, il fermera dans les années 1980, laissant derrière lui le souvenir d’un lieu emblématique du commerce parisien.
VOICI QUELQUES REALISATIONS PARTICULIEREMENT REMARQUABLES
SITUEES RUE REAUMUR
ALBERT WALWEIN L'INNOVATEUR
N° : 101 & 116
Albert Walwein (1851-1916) était un architecte français reconnu pour ses contributions significatives à l'architecture parisienne de la fin du XIXᵉ et du début du XXᵉ siècle. Son œuvre au 116 rue Réaumur a été distinguée lors du concours des façades de la ville de Paris en 1900. En plus de sa pratique architecturale, Walwein a occupé des postes officiels, tels qu'architecte du ministère de la Marine et des Colonies en 1885, et a été honoré de la Légion d'honneur en 1889.
Le 101 - Photos Wikimedia Commons

L'immeuble commercial au 101 a été conçu en 1898. Fait de pierres et de métal, il se distingue par sa façade imposante avec une rotonde d'angle sur deux niveaux et une ornementation éclectique. Il présente des sculptures de Jacques Perrin, des baies vitrées encadrées de pilastres corinthiens et un fronton richement décoré de guirlandes et de cariatides engainées.
Le 101
Photo ECARTFIXE >
L'immeuble commercial ci-dessous qui lui fait face dans la rue au n°116 a été conçu entre 1897 et 1898. Il se distingue par sa façade en pierre de taille ornée de sculptures d'atlantes et d'un fronton représentant Vénus et deux amours, alliant élégance classique et éléments symboliques

Le 116 - Photos ECARTFIXE et gravure issue de la bibliothèque numérique INHA
CHARLES DE MONTARNAL LE VISIONNAIRE
N° : 118 & 130
Charles de Montarnal (1867-1947) était un architecte français très prolifique, élève de Ginain aux Beaux-Arts et renommé pour ses contributions à l'architecture parisienne de la fin du XIXᵉ et du début du XXᵉ siècle. Son œuvre se caractérise par une utilisation audacieuse des structures métalliques et une ornementation riche, souvent inspirée de l'Art nouveau. L'immeuble du 118 rue Réaumur lui a valu une médaille d'or. Il est également l’auteur de la Maison Eymonaud et le concepteur de logements sociaux à Levallois pour la fondation Cognacq-Jay.
Le 130 (gauche) et le 118 (droite) Photos ECARTFIXE
L'immeuble commercial au 118 a été conçu en 1900. Il se distingue par son immense baie vitrée, dominée par un arc imposant. Exploitant brillamment les possibilités de la construction métallique, Charles de Montarnal a intégré une grande verrière en métal sur trois niveaux, encadrée de pierre de taille. L'ornementation, mêlant chapiteaux et balustrades, s'inscrit parfaitement dans l'esthétique Art nouveau. Les enroulements végétaux des éléments en pierre dialoguent harmonieusement avec ceux en fonte, conférant à l’ensemble une grande élégance architecturale.
Construit en 1898 sur une parcelle triangulaire, l'immeuble de bureaux du 130 se distingue par son angle travaillé avec virtuosité, couronné d’un dôme en forme de tour-lanterne. Grâce à une charpente métallique, de larges ouvertures accentuent la verticalité de l’édifice, tandis que ses façades vitrées sont rythmées par des pilastres colossaux et ornées de médaillons. Ses balcons reposent sur d’imposantes consoles, et ses lucarnes à frontons triangulaires animent la toiture, illustrant un style encore marqué par un vocabulaire architectural classique.
GEORGES CHEDANNE LE MAITRE DU METAL
N° : 124
Georges Chedanne (1861-1940) était un architecte français renommé, particulièrement actif à la fin du XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle. Élève de l'École des Beaux-Arts et lauréat du Grand Prix de Rome en 1887, il s'est illustré par des réalisations emblématiques de la Belle Époque. On lui doit notamment les somptueuses Galeries Lafayette Haussmann à Paris ainsi que l’hôtel Humbert à Rome. Son style mêle classicisme et modernité, intégrant les avancées techniques de son époque, notamment l’usage du métal et du verre dans ses constructions.

Détails du 124 - Photos ECARTFIXE
Construit en 1904, l'immeuble du 124 est attribué à Georges Chedanne, sur la foi du dépôt des plans, bien que son architecture s’éloigne radicalement du reste de l'œuvre de l'architecte, laissant planer un certain mystère.
Véritable rupture avec l’héritage haussmannien, il se démarque par une façade entièrement métallique, sans ornement, où l’acier devient un véritable moyen d’expression architecturale. Sa structure en poutres rivetées, marquant chaque niveau, tranche avec la pierre des immeubles voisins. À l’origine destiné à une société de soierie, il devait répondre à deux exigences précises : offrir une luminosité optimale et supporter de lourdes charges, jusqu’à 1 500 kg/m². Ces contraintes ont conduit à l’intégration de larges fenêtres encadrées d’acier et de poutres métalliques apparentes, ainsi que d’imposantes bandes de tôle séparant horizontalement les étages.
Malgré cette rigueur structurelle, l’édifice conserve une certaine élégance grâce aux influences de l’Art nouveau. On les retrouve notamment dans les courbes des portes d’entrée et des consoles supportant les bow-windows du quatrième étage, qui apportent du mouvement et une nuance décorative à l’ensemble. Cette approche architecturale, aussi fonctionnelle qu’esthétique, marque une transition audacieuse vers la modernité. Longtemps occupé par le Parisien Libéré, l’immeuble a été restauré à la fin des années 2000, retrouvant ainsi son éclat d’antan et mettant en valeur son audace structurelle et son harmonie singulière entre géométrie et ornementation.
CHARLES RUZE LE POETE
N° : 105 & 121
Charles Ruzé est notamment reconnu pour ses contributions à l'architecture commerciale parisienne, en particulier sur la rue Réaumur. Parmi ses réalisations majeures figure l'immeuble situé au 121 rue Réaumur, construit en 1900, remarquable par ses façades ondulantes et son angle en rotonde couronné d'un dôme. Ruzé a également conçu l'immeuble du 105 rue Réaumur en 1899, un bâtiment commercial qui, bien que considéré comme une œuvre mineure comparée à celle du 121, témoigne de son engagement dans le développement architectural de cette artère parisienne.
Le 121 - Photos ECARTFIXE
FRANCOIS EDOUARD SINGERY L'ARTISAN DU TEMPS
N° : 61-63
François Edouard Singery ( 1838 - 1915 ) était un architecte français actif à la fin du XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle. Il est notamment reconnu pour avoir conçu, en collaboration avec Philippe Jouannin, l'immeuble situé au 61-63 rue Réaumur à Paris, achevé en 1900. Ce bâtiment, surnommé « l'immeuble-cathédrale ». Cette œuvre illustre l'éclectisme architectural de la Belle Époque et témoigne de la capacité de Singery à intégrer des éléments décoratifs complexes dans ses réalisations.
Photos (haut) Ecartfixe et photo (bas) Wikimedia Commons
L’immeuble du 61-63 rue Réaumur est l’un des plus surprenants de la rue, mêlant Art nouveau et Art néogothique dans un style éclectique, elle est la dernière grande réalisation de l'architecte assisté de son gendre Philippe Jouannin.
Sa façade, inspirée de l’architecture religieuse et du vocabulaire de Viollet-le-Duc, se distingue par une entrée rappelant celles des églises, des fenêtres géminées, une rosace en mosaïque abritant une horloge et des sculptures signées Jacquier. Le thème du temps y est omniprésent, avec des motifs floraux, les signes du zodiaque et les saisons sculptés sur la façade. Sa particularité réside aussi dans son étroitesse, avec une profondeur de seulement cinq mètres !
Malgré sa façade remarquable, l'immeuble n'a pas été primé lors du concours de façades de la Ville de Paris en 1897. Il a été inscrit à l'inventaire des Monuments historiques le 2 octobre 2015, protégeant ainsi ses façades, toitures, ainsi que certains éléments intérieurs tels que l'escalier et les ferronneries de l'ascenseur. Un ravalement récent, achevé en 2023, a permis de redonner tout son éclat à cette œuvre architecturale singulière.
UNE TENTATIVE DE RELANCE DU CONCOURS
EN 2017
"Le concours est un moyen de créer une émulation.
C'est un outil d'inspiration, de réflexion, de confrontation"
Le Corbusier
Le concours sera, après la Première Guerre mondiale, l’objet de critiques, certains soulignant que la beauté d’un immeuble ne peut se résumer à l’apparence de sa façade, Il sera donc abandonné à la fin des années 1930.
En 2017, le concours des façades a été remis à l’honneur par le Conseil de Paris. Son objectif ? Redonner une place à l’innovation et à la diversité architecturale dans une ville qui, si elle reste magnifique, doit éviter toute uniformisation excessive. A ce jour, en 2025, je ne saurai vous dire si il est toujours d'actualité, je n'ai pas réussi à trouver d'information précise. Je le souhaiterai ! et vous qu'en pensez-vous ?
CONCLUSION
Un témoignage vivant et captivant de l'architecture expérimentale
de la Belle Epoque !
J’ai eu la chance de travailler pendant cinq ans au 83 de la rue Réaumur, puis cinq autres années dans un immeuble rue Saint-Joseph, à deux pas du 130 rue Réaumur. J'ai donc passé 10 années dans ce beau quartier à lever les yeux chaque soir et matin, fascinée par les façades audacieuses qui m’entouraient. Que du bonheur ! Je reviens souvent (pas plus tard qu'hier soir pour faire la plupart des photos de cet article) car ma salle de sport n'est pas loin ainsi que mes anciens coworkers que je suis toujours ravie de recroiser :)
Plus d’un siècle après sa création, on peut dire que le concours des façades demeure un témoignage captivant de l’architecture expérimentale de la Belle Époque. Les immeubles conçus dans ce cadre, notamment rue Réaumur, reflètent les grandes mutations d’un Paris en pleine transformation, façonné par de nouvelles techniques de construction.
Passionnés d’urbanisme et d’histoire architecturale, si vous vous promenez dans le quartier des métros Sentier ou Bourse, prenez le temps de lever les yeux rue Réaumur et laissez-vous émerveiller par ces chefs-d’œuvre du patrimoine parisien !

Un grand merci pour votre lecture !
J'espère que vous aurez appris des choses intéressantes^^
si oui n'hésitez pas à me laisser un commentaire
Les Newsletters et blogs, d'EcartFixe , sont toujours très intéressants et instructifs !! On réapprend l'histoire et on découvre de belles choses comme tous ces immeubles remarquables que l'on ne prend pas assez le temps d'admirer en passant trop vite devant et sans regarder plus haut pour profiter des bijoux architecturaux de notre capitale !
Merci pour cette visite, moment de détente instructive !