PROMENADE DANS L'ART TOPIAIRE
- Marie PERROT DURAND
- 17 juin
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 juin
Dans cet article de blog, je vous invite à explorer l’art des topiaires
Ce subtil équilibre entre nature maîtrisée et sculpture vivante, qui traverse les époques et raconte une histoire riche de savoir-faire et de symboles.
Depuis toujours, je suis fascinée par les jardins et par ceux qui en maîtrisent l’art et l’entretien. Ce qui me touche tout particulièrement, c’est cette idée de nature "maîtrisée", façonnée avec patience et précision. Les topiaires en sont, à mes yeux, l’un des plus beaux symboles. Une évidence et une joie donc, de creuser ce sujet passionnant et de vous en parler en détail dans cet article^^. Marie 🌿
L'ART TOPIAIRE
entre Nature maîtrisée et sculpture vivante
"Le talent est un jardin et le travail est son jardinier."
Vincent Thomas Rey
Il y a, dans certains jardins, des formes végétales qui semblent ne pas appartenir tout à fait à la nature. Des sphères d’ifs taillées avec minutie, des spirales vertes foncées qui montent comme des colonnes silencieuses, des murs de buis qui dessinent l’ombre d’un ordre ancien…
- C’est l’art topiaire -

L’art topiaire, du latin ars topiaria, dérivé du grec ancien topos, qui signifie « lieu ». Ce terme désignait originellement l’aménagement réfléchi d’un espace — un lieu façonné, ordonné, organisé. Aujourd’hui, il désigne l’art de tailler les végétaux à des fins décoratives, où la nature devient sculpture vivante.
Les origines de cet art remontent à l’Antiquité romaine. Des écrits de Pline l’Ancien (62-113 après J.-C) nous apprennent que les "Topiarus" (nom de ses jardiniers) façonnaient déjà des buis et cyprès en formes géométriques, animales, voire mythologiques, pour orner les jardins des villas patriciennes. Ces jardins étaient à la fois un lieu de plaisir et un signe de statut social, révélant le goût et la maîtrise de leurs propriétaires.
Au fil du temps, l’art topiaire s’est transmis et transformé.
Au Moyen Âge, les monastères perpétuent cette tradition en sculptant des haies et arbustes pour structurer les jardins utilitaires et spirituels.
C’est véritablement à la Renaissance italienne que l’art topiaire reprend son souffle, avec des jardins conçus comme des espaces ordonnés, où le végétal devient une architecture éphémère. On cherche à recréer un « petit monde idéal » à l'échelle humaine.
Il se caractérise alors par une symétrie géométrique intime, des terrasses avec jeux de niveaux, des parterres cloisonnés souvent entourés de murs, et l’intégration d’éléments allégoriques ou savants comme fontaines, labyrinthes ou plantes médicinales. Un véritable dialogue entre nature, architecture et savoir, que l'on retrouve parfaitement au Château de Villandry par exemple.

En France, l’apogée arrive au XVIIe siècle avec les jardins à la française, notamment ceux de Vaux-le-Vicomte et du Château de Versailles, sous la direction d’ André Le Nôtre. Les allées rigoureusement tracées, les parterres brodés de buis, les bosquets et topiaires sculptés témoignent d’une volonté de contrôle absolu du vivant.
LE JARDIN COMME MIROIR DU POUVOIR
et prolongateur de la symétrie des bâtiments
Les jardins classiques ne sont pas de simples espaces verts. Ils sont le prolongement du pouvoir, un manifeste architectural où la symétrie des bâtiments trouve son écho dans les perspectives végétales. Ces jardins étaient des expressions tangibles d’autorité, où la maîtrise du végétal traduisait la maîtrise politique ou sociale.
Au XVIIᵉ siècle, le jardin va changer d’échelle et d’ambition. Avec l’apparition du jardin à la française, le dessin s’étire, se monumentalise. Il ne s’agit plus seulement de plaire à l’œil : il faut impressionner, démontrer, affirmer l’ordre.
L’exemple le plus emblématique est Versailles, où le tracé rigoureux du jardin de Le Nôtre reflète la puissance absolue du roi.
- Tout y est perspective, axe, contrôle -

Une anecdote révélatrice au Château de Versailles >> Louis XIV, maître absolu, utilisait les jardins comme un théâtre où chaque bosquet, fontaine, ou allée était pensé pour affirmer la hiérarchie sociale. La position d’un visiteur dans les jardins traduisait sa place dans l’ordre établi, rappelant que le contrôle du paysage était aussi un contrôle des relations humaines.
Le saviez vous ?
IL EXISTE UNE JOURNEE MONDIALE
DE L'ART TOPIAIRE
Créées en 2021 à l’initiative du jardin historique de Levens Hall en Angleterre et de l’European Boxwood & Topiary Society, les Journées Mondiales de l’Art Topiaire (World Topiary Days) sont devenues en quelques années un rendez-vous incontournable pour valoriser cet art vivant.
Organisées autour du 12 mai, elles rassemblent aujourd’hui près de 150 jardins en Europe et au-delà, avec au programme des démonstrations de taille manuelle, des visites guidées, des ateliers pédagogiques, et une mise en lumière du savoir-faire des jardiniers d’art.
Elles ont mobilisé en France des jardins d’exception dans plusieurs régions, notamment en Centre-Val de Loire, Dordogne, Bretagne, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. Parmi les lieux phares 2025, on retrouve les Jardins de Marqueyssac en Dordogne, le Domaine de Poulaines en Indre-et-Loire, le Château de Valmer en Vienne, le Château de Bournazel en Occitanie, ou encore le Jardin de La Ballue en Bretagne.
Leur objectif : sensibiliser le public à la richesse patrimoniale de la topiaire, encourager la transmission des gestes anciens, et rappeler que le paysage façonné est, lui aussi, un patrimoine culturel.

LE JOLI LANGAGE
des jardins classiques
Ce que j’aime tout particulièrement dans ces jardins classiques ponctués de topiaires, ce sont les mots qu’ils nous chuchotent. Un véritable langage ancien, presque oublié, qui donne vie au paysage et nous invite à une lecture sensorielle et poétique.
On y parle de chambres de verdure, ces pièces végétales ouvertes sur le ciel, délimitées par des haies ou des rideaux d’arbres taillés avec soin. De tapis brodés, pelouses ourlées de buis sculptés en arabesques fines, véritables étoffes végétales étendues au sol.
On évoque des rideaux d’arbres, alignements parfaits qui jouent le rôle de coulisses dans ce théâtre vivant. Ou encore des murs de charmilles, cloison végétale formant des espaces secrets.
Et que dire des escaliers d’eau ? Ces plans inclinés où l’eau s’écoule doucement, souffle de vie et de mouvement dans l’ordonnance rigoureuse des formes.
Mais le langage du jardin ne s’arrête pas là. Il s’enrichit de ses compagnons architecturaux — treillages qui marquent les perspectives, kiosques qui offrent des pauses ombragées, labyrinthes mystérieux qui invitent au voyage, fontaines aux jeux d’eau scintillants…
Et aussi, les vases d’ornement et les sculptures. Présents aux croisées d’allées, ponctuant les parterres ou couronnant des balustrades, ils sont bien plus que des ornements : Parfois mythologiques, parfois simplement décoratifs, ils incarnent la permanence de l’art au cœur du vivant.
Tous ces éléments dialoguent entre eux, dans une harmonie subtile, donnant au jardin sa dimension de musée vivant et récit à arpenter. Ce joli langage, un peu désuet et pourtant si vivant, m’enchante profondément. Il porte en lui une vision du jardin comme un monde à la fois ordonné et plein de poésie, à comprendre, à rêver, et bien sûr à dessiner.
JARDINIER D'ART
un métier de passion, de précision et de transmission

Derrière chaque allée bordée de buis, chaque topiaire parfaitement ourlée, se cache la main précise et patiente du jardinier d’art.
Ce métier rare conjugue rigueur technique, sens esthétique et passion végétale. Ici, pas de gestes brusques, pas de machines lourdes. Les outils sont simples, presque ancestraux : cisaille, cordeau, tige de bambou, gabarits en bois, fil à plomb ou niveau à bulle. Chaque plante est approchée avec respect. On l’observe, on la connaît. On taille, non pas pour contraindre, mais pour révéler la forme, avec une extrême attention à la lumière, aux volumes, à la croissance.
Ce travail se fait par étapes, au fil des saisons : nettoyage, repérage des axes, préparation des outils, taille de structure, puis retouches régulières pour accompagner la repousse. Un rythme lent, presque chorégraphique, qui s’apprend avec le temps, souvent auprès d’un ancien.
J’ai eu la chance d’échanger avec Killian Hiraut, jeune jardinier d’art aux Jardins de Versailles, qui m’a m’a partagé son parcours inspirant :
« Mon envie de devenir jardinier d’art s’est faite ressentir lorsque j’ai commencé à travailler pour le Château de Versailles. Travailler pour notre patrimoine français était déjà une envie présente chez moi, et lorsque j’ai eu l’opportunité de le faire, je l’ai saisie !Il me semblait donc logique de tenter le concours ATAE, même si je suis autodidacte dans ce domaine. J’ai appris aux côtés des jardiniers déjà en poste, et aussi grâce aux formations internes proposées par le château comme “Histoire des jardins” ou “Reconnaissance de végétaux”. "

et sa vision du métier :
"Aujourd’hui, ce qui me plaît le plus, c’est la taille. J’évolue dans un jardin à la française où la rigueur et le sens du détail sont essentiels. On va bientôt commencer la taille des ifs du parterre du Midi (tout juste restauré), en suivant les règles de l’art topiaire. C’est un art qui demande du minimalisme, de la patience, et un grand sens de l’observation. Passer du temps à embellir les végétaux et les jardins est devenu une vraie vocation. »
Ce témoignage souligne combien cet art est un équilibre subtil entre contrôle et écoute, rigueur et sensibilité.
Il y a là un parallèle troublant avec mon propre travail de dessin : l’amour du trait juste, la répétition d’un même geste jusqu’à l’évidence, la construction lente d’une forme claire, pensée dans le temps. Une structure, qu’elle soit de buis ou de papier, n’est jamais figée. Elle évolue, elle s’adapte, mais toujours selon une logique, un dessin, une vision.
Comment devient-on jardinier d'Art ?
Le métier de jardinier d’art repose sur trois grandes exigences :
Une connaissance approfondie du végétal,
Une compréhension fine du patrimoine paysager historique,
Et une volonté de préserver les gestes et les techniques transmises par les générations précédentes.
Plusieurs voies, souvent complémentaires, permettent d’y accéder :
CAPA Jardinier-paysagiste, suivi d’un BTSA Aménagements paysagers, parfois complété par une spécialisation en gestion de jardins historiques.
Formations internes proposées par les grandes institutions (Château de Versailles, Domaine de Chantilly…), qui enseignent sur le terrain la taille manuelle, le respect des tracés anciens, et le rythme naturel du jardin.
Apprentissage en binôme auprès de jardiniers expérimentés : un véritable compagnonnage, au fil des saisons.
Un apprentissage autodidacte est également possible, par curiosité, observation, et passion. Killian Hiraut nous le prouve parfaitement et insiste sur l'importance de continuer de s'auto-former en permanence dans ce cas.
Pour intégrer durablement les jardins d’État (Versailles, Fontainebleau, Trianon…), il faut passer un concours national du ministère de la Culture : ATAE > Adjoint technique des administrations de l’État principal de 2ᵉ classe – spécialité jardinier d’art.
*Ce concours comporte des épreuves écrites, des travaux pratiques sur le terrain, et un oral. Il est souvent préparé en parallèle d’un emploi dans un jardin historique, et ouvre l’accès au statut de fonctionnaire, garant de la transmission à long terme de ce savoir-faire vivant.
LES JARDINS DU MANOIR D'EYRIGNAC
joyau français de l'Art topiaire
Il y a tellement de lieu merveilleux que je pourrai vous montrer en image mais celui-ci, lors de mes recherches, a vraiment retenu mon attention plus que tout autre 😍, il fallait absolument que je vous le présente : Le jardin du Manoir d’Eyrignac, situé (comme son cousin Marqueyssac !) en Dordogne. Une merveille ! et sans doute une étape incontournable pour tous les amoureux des jardins d’exception.
Son histoire remonte au XVIIe siècle, mais c’est au XIXe siècle, avec la famille de Bastard d’Eyrignac, que le jardin prend la forme que l’on peut admirer aujourd’hui, mêlant rigueur géométrique et poésie végétale.

Le jardin se déploie autour du manoir en une composition harmonieuse, où les buis, ifs et charmilles sont sculptés en formes élégantes : sphères parfaites, cônes majestueux, spirales délicates. Ce travail précis confère au jardin une ambiance à la fois majestueuse et intime (c'est ce qui m'a particulièrement plu) et est une invitation à la contemplation.
Infos pratiques
Adresse : Jardins du Manoir d’Eyrignac, 24590 Salignac-Eyvigues, Dordogne
Horaires : Ouverts toute l’année, tous les jours (sauf le 25 décembre).
D’avril à septembre : 9h30 – 19h D’octobre à mars : 10h30 – 12h30 et 14h30 – 18h
🎟 Tarifs 2025 > Adulte : 13,50 € | Enfant (5–10 ans) : 7 € | Gratuit pour les moins de 5 ans | Formules familles, visites guidées et billets combinés disponibles
🔗 Site officiel : eyrignac.com
🧭 Prévoir au moins 2 heures sur place pour profiter pleinement des ambiances, perspectives et détails du jardin. Les amateurs de dessin, de paysage ou de patrimoine vivant y trouveront une source d'inspiration inépuisable.
Aujourd’hui, les Jardins d’Eyrignac sont toujours entretenus avec un profond respect pour cette tradition, mêlant savoir-faire ancestral et passion contemporaine. Ils représentent une véritable symphonie végétale, où chaque plante est une note, chaque taille un geste précis.
Photos des jardins du manoir d'Eyrignac - Wikimédia Commons
La taille traditionnelle à la main : un savoir-faire vivant à Eyrignac
L’un des aspects fascinants des Jardins d’Eyrignac réside dans la conservation d’une taille traditionnelle, entièrement réalisée à la main, à l’aide d’outils classiques comme les cisailles à main, les sécateurs, et parfois même des gabarits en bois pour guider les formes complexes.
Cette méthode ancestrale demande une grande maîtrise et une connaissance intime de chaque végétal, car chaque coup de cisaille influence la croissance future de la plante. Les jardiniers d’Eyrignac perpétuent ce geste avec rigueur et patience, respectant le rythme des saisons.
Chaque année (à certaines dates, sur réservation) le jardin organise des démonstrations publiques de taille, où les visiteurs peuvent observer ces gestes précis, presque chorégraphiés, dans une atmosphère d’échange et de transmission. Ces moments permettent aussi d’expliquer les différentes étapes de la taille, la préparation des outils, et l’entretien nécessaire pour préserver ces sculptures vivantes.
Cette pratique est une véritable performance artistique, mais aussi un témoignage vivant de la richesse du patrimoine horticole français.
CONCLUSION
Le paysage comme patrimoine vivant
entre tradition et réhabilitation.
La topiaire nous rappelle que le paysage est un élément construit, évolutif, modifiable et surtout transmissible. Comme l’architecture, il s’inscrit dans le temps et nécessite un entretien constant, un savoir-faire précieux.
Cette pratique du végétal sculpté est étroitement liée aux métiers du bâti, et l’on peut tracer un parallèle très instructif entre le tailleur de pierre et le tailleur de buis. Dans les deux cas, il s’agit de maîtriser la forme par le geste, d’interagir avec une matière vivante, qu’elle soit minérale ou végétale, tout en respectant ses contraintes propres. La topiaire est un art du geste répété, précis, mais aussi une adaptation constante à la croissance et à la nature du végétal.
Pour les acteurs du patrimoine, intégrer ces savoir-faire dans les projets de réhabilitation paysagère doit être pensé comme une réhabilitation réelle des techniques et des usages. Cela implique de transmettre ce patrimoine immatériel, les méthodes de taille, la compréhension du végétal dans son espace.

Un cas emblématique est celui des jardins du Château de Villandry, en Indre-et-Loire. Après des décennies de dégradation, la restauration menée au XXe siècle s’est appuyée sur des plans anciens et des archives précises pour recréer les formes végétales d’origine, y compris les topiaires minutieuses. Cette restitution a permis de redonner vie à un paysage historique dans le respect des intentions initiales, tout en réactualisant les pratiques horticoles. Cette démarche illustre parfaitement comment la topiaire et les jardins classiques participent à un patrimoine vivant, capable de traverser les siècles grâce à la rigueur des gestes et la continuité des savoir-faire.
Un grand merci pour votre lecture !
J'espère que vous aurez appris des choses intéressantes^^
si oui n'hésitez pas à me laisser un commentaire
Excellent article pour commencer l'été avec ces magnifiques jardins maitrisés et les jardiniers artistes passionnés qui assurent leur entretien ! Ce que j'ai découvert est la grande proximité entre les sculpteurs de pierres ou autres matériaux et les jardiniers, sculpteurs de végétal et les illustrateurs comme Marie, qui mettent en valeur tous ces bijoux artistiques de notre patrimoine, par leurs dessins !! Tout se rejoint dans une même passion de la beauté !!