LES SERRES - Cathédrales de verre et de verdure
- Marie PERROT DURAND

- 10 sept.
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 sept.

Je vous propose de franchir ensemble les portes de
ces architectures de verre,
témoins d’une époque, d'un art de vivre et d’innover.
Longtemps réservées aux élites, les serres ont marqué l’histoire de l’architecture et de l’agriculture : prouesses techniques, symboles de prestige, laboratoires d’innovation. Aujourd’hui, elles interrogent notre rapport au patrimoine, à la culture nourricière et à la beauté des lieux. Restaurer une serre ancienne ou imaginer une serre contemporaine, c’est renouer avec une tradition d’élégance et de lien entre l’homme, son territoire et la nature.
L'héritage Architectural
LES PREMIERES SERRES & ORANGERIES
Des symboles de prestige et d'élégance
Au XIXe siècle, les serres monumentales s’imposent comme de véritables prouesses architecturales. L’utilisation conjointe du verre et du fer permet alors de créer des espaces baignés de lumière, capables d’abriter une végétation luxuriante sous toutes les latitudes.
Les exemples emblématiques ne manquent pas, je vous en présente 3 ci-après, en France, en Angleterre et en Belgique :
EN FRANCE
Les Grandes Serres du Jardin des Plantes à Paris (1834–1836)

Chef-d’œuvre de Charles Rohault de Fleury, ces serres font parties des premières grandes verrières françaises construites en fer et verre. Elles illustrent le mariage entre rigueur scientifique et élégance architecturale : leurs structures métalliques légères soutient des verrières hautes et lumineuses, créant un environnement idéal pour la recherche botanique. L’intérieur accueille une collection diversifiée de plantes exotiques et tropicales, faisant de ces serres de véritables laboratoires vivants. Leurs organisations rationnelles permet à la fois l’étude des espèces et la promenade des visiteurs, offrant un équilibre subtil entre fonction et beauté.
Avant elle, les serres Buffon et Bardin occupaient cet emplacement, plus modestes mais déjà essentielles pour acclimater les plantes rapportées des voyages naturalistes. Ces premières constructions en pierre et bois ont ouvert la voie à l’ambition architecturale du XIXe siècle.
Les Grandes Serres de Charles Rohault de Fleury ont été restaurées récemment pour conserver leur intégrité tout en modernisant certains dispositifs techniques (chauffage, ventilation), renforçant leur rôle patrimonial et éducatif.
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EN ANGLETERRE
Les jardins botaniques royaux de Kew à Londres (1844–1848)
Ces immenses verrières, construites sous la direction de Decimus Burton et Richard Turner, sont emblématiques de l’audace victorienne. Les courbes métalliques audacieuses et les arcs en fonte permettent de créer de vastes espaces chauffés et lumineux, parfaits pour accueillir palmiers, fougères géantes et plantes tropicales.

À l’époque, ces structures étaient à la pointe de la technologie : elles combinaient ingéniosité mécanique et esthétisme, anticipant l’architecture métallique du XIXe siècle. Les Palm Houses témoignent de la fascination de l’époque pour l’exotisme et l’innovation, tout en offrant une expérience immersive au visiteur, entre promenade et découverte scientifique.
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EN BELGIQUE
Les Serres royales de Laeken à Bruxelles (1874–1895)
Conçues par l’architecte Alphonse Balat pour le roi Léopold II, les Serres royales de Laeken représentent l’un des ensembles de verrières les plus spectaculaires d’Europe. Véritable palais de verre et de métal, elles allient monumentalité et raffinement, avec leurs coupoles majestueuses et leurs galeries couvertes qui serpentent dans le parc royal. Inspirées par les grandes innovations du XIXe siècle, elles offrent une mise en scène théâtrale des collections de plantes exotiques et tropicales.

Ouvertes au public seulement quelques semaines par an, ces serres ne sont pas qu’un chef-d’œuvre technique : elles incarnent aussi le rêve d’un roi bâtisseur et l’ambition de la Belgique de se placer au cœur du progrès architectural et horticole de son époque. Plus qu’un simple espace de culture, elles constituent un symbole national, où la nature apprivoisée devient spectacle et patrimoine.
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Ces trois réalisations emblématiques illustrent la diversité des fonctions que les serres ont pu incarner au XIXᵉ siècle : outils scientifiques, vitrines d’innovation industrielle ou encore symboles politiques. Mais elles ne furent pas seulement l’apanage des grandes institutions et des souverains.
Dans les châteaux et les demeures aristocratiques, orangeries et serres privées se déploient comme autant de symboles de prestige. Elles permettaient de cultiver agrumes, ananas, plantes exotiques ou fleurs rares, véritables marqueurs de raffinement et d’art de vivre.
Ces édifices ne sont pas de simples écrins végétaux : ils témoignent aussi de l’histoire de la culture vivrière et ornementale en Europe. Les agrumes, autrefois denrées précieuses, deviennent le privilège des élites, tandis que les plantes exotiques nourrissent une fascination pour le lointain et l’inconnu.
Connaissez vous bien la différence
entre une serre et une orangerie ?
On confond souvent serres et orangeries, pourtant ces deux architectures n’ont en réalité ni la même époque, ni la même fonction.
L’orangerie, emblématique des XVIIe et XVIIIe siècles, est un bâtiment en pierre aux murs épais, percé de grandes baies vitrées orientées au sud.


Conçue pour abriter les orangers, citronniers et autres plantes méditerranéennes pendant l’hiver, elle se distingue par sa toiture en ardoise ou en tuiles, rarement vitrée. Bien plus qu’un simple abri horticole, l’orangerie est un symbole de prestige aristocratique et d’art de vivre raffiné.
À Versailles, plus de mille arbres en caisse patientent dans la majestueuse orangerie de Mansart ; à Chantilly, Meudon ou Sceaux, le même rituel se répète depuis trois siècles. Plus au nord, à Potsdam ou à Vienne, ces palais de pierre abritent encore les collections d’agrumes royaux, rappelant que l’orangerie est bien plus qu’un décor : c’est un écrin vivant où la nature et l’architecture dialoguent, hiver après hiver.
À l’inverse, la serre, apparue surtout au XIXe siècle avec la révolution industrielle, se caractérise par une construction légère en verre et en métal.
Elle permet de créer des microclimats, d’accueillir des plantes exotiques tout au long de l’année : palmiers, orchidées, fougères tropicales et combine usages scientifiques, agricoles et de promenade. Les Grandes Serres du Jardin des Plantes à Paris en sont un chef-d’œuvre, témoignant de l’audace technique et de l’élégance du XIXe siècle.
En résumé, l’orangerie se consacre à protéger les arbres méditerranéens en hiver, tandis que la serre célèbre l’exotisme et la transparence du verre et du métal, offrant lumière et spectacle toute l’année.
Au service de la Table
DES SERRES NOURRICIERES
Complices des primeurs et des saveurs
Les serres ne sont pas qu’un décor architectural luxueux : elles ont profondément influencé la manière de se nourrir. Dès le XVIIIe siècle, les potagers royaux et bourgeois y cultivent des primeurs qui deviennent des mets d’exception.
Le petit pois illustre parfaitement ce rôle.
Ce légume tendre, associé à la fraîcheur du printemps, était si prisé que Louis XIV en faisait cultiver au Potager du Roi à Versailles, grâce à des techniques d’abris précoces et de serres maraîchères. Les pois primeurs deviennent un symbole de luxe et de modernité alimentaire : offrir un plat de petits pois en plein hiver était une prouesse autant qu’un raffinement.
Avec le XIXe siècle, l’essor des serres permet d’allonger les saisons de culture, d’expérimenter et de diversifier l’alimentation.
Les maraîchers rivalisent d’ingéniosité pour fournir aux grandes tables parisiennes des légumes hors saison : fraises en hiver, melons au printemps, asperges précoces… Les serres deviennent ainsi des laboratoires agricoles autant que des instruments de prestige.
SOUVENIRS DU MARAÎCHAGE PARISIEN
Les cloches de verre
C'est en visitant la ferme ouverte de Gally de Saint Denis que j'ai découverts ce pan de l'histoire..
Bien avant que n’apparaissent les vastes serres de verre et de métal, les maraîchers parisiens avaient inventé une technique ingénieuse pour protéger leurs cultures précieuses : les cloches de verre. Chaque cloche protégeait un seul plant, et dans les grandes exploitations de la ceinture maraîchère parisienne, on pouvait en retrouver 20 000 à 40 000 alignées dans les champs, formant un paysage étonnant de dômes étincelants sous le soleil.

Leur usage demandait un labeur quotidien : chaque matin, il fallait soulever les cloches pour aérer, éviter l’excès d’humidité, puis les replacer une à une. Ce travail minutieux mobilisait parfois des familles entières et plusieurs dizaines d’ouvriers, mais il offrait une récompense exceptionnelle : des primeurs disponibles plusieurs semaines avant la saison naturelle.
Ces cloches de verre témoignent d’une époque où l’innovation horticole naissait de l’observation et du geste quotidien, où la beauté du paysage agricole rejoignait l’art de vivre gourmand des citadins. Un véritable ballet de verre et de verdure, orchestré chaque hiver pour offrir le printemps avant l’heure.
Interview | Témoignage
GUILLAUME DUROST
Restaurateur de serres et verrières historiques
Les serres anciennes, par leur délicatesse architecturale et leur rôle patrimonial, posent une question essentielle : comment les valoriser au mieux aujourd'hui ? De nombreux projets montrent la voie : restauration fidèle, reconversion en espaces culturels ou pédagogiques, ouverture au public pour des expositions, concerts ou événements. Ces lieux, autrefois utilitaires ou réservés à l’élite, deviennent des espaces de partage et de transmission.
👉 J'ai eu la chance d'échanger avec Guillaume DUROST, spécialiste en restauration de serres et verrières patrimoniales et dirigeant de SERRE ANCIENNE.
Formé comme maître-verrier et sculpteur sur métal, il a commencé par créer des vitraux et des structures artistiques avant de se passionner pour les verrières historiques du XIXᵉ siècle. Depuis 13 ans, il restaure ces ouvrages patrimoniaux tout en réalisant des créations contemporaines, où savoir-faire artisanal, rigueur technique et sensibilité patrimoniale se conjuguent pour préserver l’histoire et la beauté de chaque structure.
Marie : Qu'est-ce qui, selon vous, rend ces serres historiques si particulières et précieuses, tant sur le plan patrimonial qu’architectural ?
Guillaume D. : Il ne s'agit pas seulement de serres, mais d'ouvrages en verre et acier dès la première moitié du XIXᵉ siècle qui racontent notre histoire industrielle et témoignent d’une époque où technologie et industrie servaient la conception architecturale. Ces structures abritaient orangeries et collections botaniques, et beaucoup ont traversé le temps avec leurs ornements d'origine. Sur le plan architectural, une serre ancienne est une prouesse de légèreté et d'élégance : fines colonnettes de fonte, arcs en fer rivetés, toitures en verre inondant l’espace de lumière.
Marie : Quels sont les défis techniques et humains les plus marquants lors de la restauration d’une serre ancienne ?
Guillaume D. : La restauration d’une serre ancienne est un défi autant technique qu’humain. Techniquement, il faut composer avec la fragilité d’une structure : métal corrodé, assemblages d’époque qu’il faut consolider sans les dénaturer. Notre travail consiste à intervenir de façon non invasive, minimaliste ; l’intervention doit rester invisible, car nous avons à cœur de nous effacer derrière l’ouvrage. Chaque geste requiert finesse et méthode, comme reproduire à l’identique une pièce de ferronnerie altérée ou utiliser des techniques traditionnelles (par exemple le rivetage à chaud) pour conserver l'authenticité de l’ensemble. Humainement, c'est un travail d'équipe et de passion, y compris avec les propriétaires. Très souvent, ces chantiers nous révèlent des méthodes constructives propres à l’entreprise d’origine ; d’une certaine manière, nous entrons dans la logique et les gestes des ''ancêtres''.
Marie : Avez-vous un exemple de projet récent qui vous a particulièrement inspiré ou marqué ?
Guillaume D. : La restauration de la serre du château de Savoye est un projet récent qui a particulièrement marqué notre entreprise, notamment en raison de la prouesse technique de son dôme réalisé au XIXᵉ siècle. Nous l’avons entièrement démontée, restauré chaque segment métallique corrodé, avec un remontage à blanc dans notre atelier. C’était un chantier aussi technique qu’émouvant : redonner vie à un tel écrin historique a suscité une grande fierté collective.

Pour Guillaume Durost, réhabiliter une serre ancienne, c’est avant tout respecter l’ouvrage et son histoire. Chaque projet commence par un diagnostic précis, puis se poursuit par des interventions réfléchies, utilisant des matériaux compatibles et le savoir-faire d’artisans spécialisés. L’objectif n’est pas seulement de préserver le passé, mais aussi de donner une nouvelle vie à ces structures, qu’il s’agisse d’un jardin d’hiver, d’une orangerie ou d’un espace événementiel, en alliant beauté, technique et usage contemporain.
Un grand merci à lui pour avoir partagé son expérience et sa passion avec nous ! 🙏
Projets Contemporains
RESTAURER OU CONSTRUIRE ?
Les serres contemporaines, quant à elles, s’inscrivent comme des héritières modernes.
Architecture bioclimatique, structures innovantes en acier ou en bois, verres performants : elles réinventent l’art de cultiver et d’habiter la lumière. Dans les jardins privés comme dans les grands projets publics, elles restent des symboles de beauté, de lien et de vie.
Un bel exemple en France est celui des serres d’Auteuil, à Paris, restaurées et modernisées tout en conservant leur élégance XIXᵉ siècle.

Elles incarnent un mariage réussi entre héritage historique et innovation contemporaine. Les grandes verrières du XIXᵉ siècle, conçues par Jean-Camille Formigé, témoignent de l’élégance Art nouveau et de la maîtrise technique de l’époque, offrant aux plantes tropicales et subtropicales des conditions idéales pour prospérer.

Restaurées et préservées avec soin, elles cohabitent aujourd’hui avec des serres contemporaines modernes, inaugurées en 2019 autour du court Simonne-Mathieu de Roland-Garros, où des technologies de régulation climatique permettent d’accueillir des collections délicates tout en respectant l’environnement.

Ces serres offrent aux visiteurs une expérience immersive, mêlant lumière, formes et couleurs, et rappellent que l’art de cultiver sous verre peut être à la fois scientifique, esthétique et sensible. Ainsi, Auteuil illustre parfaitement comment le patrimoine peut dialoguer avec la modernité pour créer des lieux vivants, inspirants et accessibles à tous.
CONCLUSION
Les serres sont tellement plus que de simples abris de verre !
Elles sont des témoins d’une histoire technique, sociale et culturelle, mais aussi des sources d’inspiration pour nos projets d’aujourd’hui.
Leur restauration ou leur réinvention participe d’une même démarche : créer du lien entre un lieu et les personnes qu’il touche, par la beauté, la mémoire et l’émotion.
Bien sûr, l’usage intensif de serres modernes à visée purement productiviste interroge, en raison de leur impact environnemental. Mais revenir à l’héritage des serres anciennes nous rappelle qu’elles peuvent être aussi des espaces de poésie, de transmission et de réinvention durable.

Un grand merci pour votre lecture !
J'espère que vous aurez appris des choses intéressantes^^
si oui n'hésitez pas à me laisser un commentaire


























































Encore un magnifique sujet, très intéressant, instructif et même fascinant qui en dit long sur le génie de l'humain !
Toutes ces serres sont de véritables chef d'oeuvre architecturaux ! Pour le prestige, la beauté et les cultures exotiques ou alimentaires... Le beau rejoint l'utile et c'est émouvant de voir les ancêtres des serres avec ces centaines de cloches de verre alignées ! Émouvant aussi de reconnaitre enfin que nous avons besoin de verdure et que les villes font des efforts pour réhabiliter potagers et jardins un peu partout dans les espaces disponibles !
C'est aussi rassurant de voir que des métiers rares comme celui de Guillaume Durost, existe encore et que certains ont à coeur de travailler à l'ancienne…