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LE MIROIR >> << INSTRUMENT D’ILLUSION, D’HISTOIRE & D’EMOTION

Dernière mise à jour : 30 août

(Extrait d') Illustration ECARTFIXE - style mixte - Projet d'un Close Up de magie - Monaco
(Extrait d') Illustration ECARTFIXE - style mixte - Projet d'un Close Up de magie - Monaco


Je vous propose un voyage à travers l’histoire, l’espace et la sensibilité de cet objet à la fois concret et poétique





Longtemps objet de luxe et de fascination, le miroir traverse les siècles en gardant intact son mystère. Du savoir-faire secret de Murano à la puissance politique de la Galerie des Glaces, de la maîtrise optique des architectes à la profondeur symbolique du cinéma, il est à la fois outil, acteur et métaphore.



Son histoire commence en Italie



SUR L'ILE DE MURANO

Berceau du miroir soufflé, entre génie et secret


À partir du XIIIe siècle, la Sérénissime République de Venise concentre ses verriers sur une petite île voisine : Murano. Ce déplacement, stratégique et sécuritaire, donne naissance à l’un des foyers les plus raffinés du verre soufflé dans l’histoire de l’artisanat européen.


Là, les maîtres verriers perfectionnent la fabrication d’un verre cristallin d’une pureté inégalée, et développent une technique innovante : déposer un mélange d’étain et de mercure sur une surface vitrée pour créer un miroir métallique d’une netteté éblouissante. Les pièces sont alors polies à la main, à la limite du travail d’orfèvre.


Ce savoir-faire devient si précieux que les verriers sont tenus au secret, surveillés, et parfois menacés s’ils tentaient de quitter l’île.

Pendant près de deux siècles, Murano détient le monopole européen des miroirs de luxe, exportés à prix d’or dans les cours princières et les grandes demeures. La France maitrise mal la technique et n'arrive à fabriquer que de toutes petites pièces.

« La mer est un miroir où se contemple le ciel »

Philippe Desportes

Miroir vénitien du XVIIe siècle ayant appartenu à Victor Hugo. Fabriqué selon les secrets bien gardés des maîtres verriers de Murano, il incarne l'excellence artisanale de la Sérénissime. Photo Wikimedia Commons
Miroir vénitien du XVIIe siècle ayant appartenu à Victor Hugo. Fabriqué selon les secrets bien gardés des maîtres verriers de Murano, il incarne l'excellence artisanale de la Sérénissime. Photo Wikimedia Commons

Suivra une époque

DE SOMBRE ESPIONNAGE INDUSTRIEL


Sous Louis XIV, la France, en pleine affirmation de puissance, veut réduire sa dépendance aux importations italiennes.

Colbert, ministre du roi, lance une politique de conquête industrielle du luxe. Et parmi les priorités : le miroir !

Pour égaler Murano, la France doit connaître ses secrets. Colbert organise le débauchage clandestin de plusieurs maîtres verriers vénitiens, parfois exfiltrés dans des conditions rocambolesques, au péril de leur vie. Ce véritable espionnage industriel, marque le début d’une nouvelle ère.


En 1665, la Manufacture royale des glaces est fondée. D’abord balbutiante, elle devient bientôt capable de produire des miroirs de très grande taille grâce à une nouvelle méthode : le coulage du verre en nappe. L’industrie française s’affirme, Saint-Gobain naît. L’artisanat devient politique, et le miroir un outil de souveraineté.


Coulée d’une glace à Saint‑Gobain à la fin du XVIIIᵉ siècle, sous le regard du directeur Pierre Delaunay‑Deslandes, qui modernisa l’entreprise (sanguine, collection Saint‑Gobain). © Archives Saint‑Gobain, domaine public
Coulée d’une glace à Saint‑Gobain à la fin du XVIIIᵉ siècle, sous le regard du directeur Pierre Delaunay‑Deslandes, qui modernisa l’entreprise (sanguine, collection Saint‑Gobain). © Archives Saint‑Gobain, domaine public

Connaissez vous cet ancien métier ?

Le Miroitier -Lunettier



Gravure Wikimedia Commons
Gravure Wikimedia Commons

Le terme « miroitier‑lunettier » apparaît dès le XVIIᵉ siècle pour désigner des artisans spécialisés à la fois dans la fabrication de miroirs, d’instruments optiques (comme lunettes, loupes) et d’éléments pour la science et l’astronomie.


  • Ces artisans travaillaient des verres polis ou métallisés (miroirs ardents en verre ou métal), mais aussi des prismes, lunettes, loupes, lanternes magiques destinées à l’optique ou à des usages divertissants ou scientifiques.


  • L’Encyclopédie de Diderot-Alembert mentionne que ces maîtres étaient dotés d’outils spécifiques : meules, polissoirs, compas, tours, etc., pour préparer et polir des surfaces optiques variées.


  • À partir du XVIIIᵉ siècle, ces métiers se distinguent : le miroitier reste le spécialiste du verre traité (miroirs, vitraux décoratifs), tandis que le lunettier, puis l’opticien, se consacrent aux instruments d’optique pure ainsi qu’à l’achat/vente de ces objets




LA GALERIE DES GLACES DE VERSAILLES

Apothéose d'un reflet monarchique

Point d’orgue de cette conquête : la Galerie des Glaces du Château de Versailles, achevée en 1684. Conçue par Hardouin-Mansart et décorée par Charles Le Brun, elle aligne 17 arcades composées de 357 miroirs faisant face à 17 fenêtres, dans un jeu symétrique qui sublime la lumière et démultiplie l’espace.


Ce lieu n’est pas qu’un décor : c’est une mise en scène du pouvoir royal, un théâtre politique où chaque reflet célèbre la grandeur du roi. Pour produire autant de miroirs, il fallut mobiliser tout le savoir-faire de la manufacture royale.

La France va innover grâce au procédé du “coulage sur table”, permettant d’obtenir des plaques de verre plus larges, plus planes et plus homogènes. Les Italiens n’avaient jamais vu une telle mise en scène du miroir : c’est une victoire symbolique sur Murano, autant qu’un manifeste d’innovation française.

La lumière naturelle y est domptée, orchestrée. Les miroirs y deviennent des acteurs d’espace, qui brouillent les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, entre réel et reflet. C’est l’aboutissement de l’ambition de Louis XIV qui réussi ainsi à éblouir les visiteurs, nationaux comme étrangers en centralisant tous les pouvoirs entre ses mains. Il se pose comme délégué direct de Dieu sur Terre.


“Le dandy doit aspirer à être sublime sans interruption.

Il doit vivre et dormir devant un miroir.”

Charles Baudelaire


Photos récentes & gravures anciennes de la Galerie des Glaces du Château de Versailles



SES CHIFFRES CLEFS

73 mètres de long et 10,5 mètres de large 12,3 mètres de haut

17 arcades de miroirs, composées de 357 miroirs assemblés

30 compositions peintes sur 1000 mètres carrés de voute

6 années de travail jour et nuit


A noter

Une autre époustouflante galerie, d'une ampleur comparable, existe en Italie.

Il s'agit de la Galerie des Cartes Géographiques du Vatican, chef-d’œuvre du XVIᵉ siècle

J'ai eu la chance de la découvrir lors d'un petit voyage à Rome

Je vous raconte toute son histoire dans un article de blog dédié. À lire ici



LE MIROIR DANS L'ESPACE CONTEMPORAIN

illusions utiles, reflets choisis


« Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus,

avant de renvoyer les images ;) »

Jean Cocteau


Image Freepik
Image Freepik

Aujourd’hui, le miroir continue d’être un outil puissant d’aménagement, loin de sa seule fonction décorative. Il agit sur la perception, la lumière, l’orientation, dans les lieux publics, les jardins, les halls, les espaces de travail ou d’accueil.

Illustration Ecartfixe - Hall Immeuble logements
Illustration Ecartfixe - Hall Immeuble logements


Voici quelques exemples d'usages concrets :

Image Freepik
Image Freepik

  • AGRANDIR VISUELLEMENT UN ESPACE ETROIT

    comme un couloir, un vestibule ou une boutique


  • MULTIPLIER UNE PERSPECTIVE OU UNE VOUTE

    pour en accentuer la majesté


  • CREER DE LA PROFONDEUR DANS UN MUR AVEUGLE


  • REFLECHIR UN PAYSAGE EXTERIEUR DANS UN INTERIEUR


  • CAPTER UNE LUMIERE NATURELLE

    et la redistribuer vers des zones sombres


  • METTRE EN SCENE UN DETAIL ARCHITECTURAL

    colonnade, sculpture, arcade


  • REFLETER UN MASSIF FLORAL, UN ARBRE ISOLE OU UNE PIECE D'EAU

    pour créer un effet "Alice" de double monde^^



Le miroir n’est plus un simple "objet" mais un dispositif spatial et narratif. Il oriente le regard, suggère une lecture du lieu, et provoque souvent une émotion.

LE MIROIR SYMBOLIQUE


Depuis l’Antiquité, le miroir dépasse sa simple fonction matérielle pour devenir un objet hautement symbolique, investi de significations spirituelles ou philosophiques très différentes selon les civilisations. En voici quelques exemples :


En Chine, il est utilisé pour repousser les énergies négatives et préserver l’harmonie intérieure d’un lieu, en accord avec les principes du Feng Shui. Dans l’Égypte antique, il incarnait le reflet de l’âme et se trouvait souvent lié à la déesse Hathor, protectrice de la beauté et de la musique. Les traditions islamiques y voient un symbole de pureté intérieure, un outil d’introspection dans lequel se révèle une beauté plus profonde, épurée de l’égo. Chez les Aztèques, le miroir, souvent taillé dans l’obsidienne noire, servait d’outil divinatoire, support de visions chamaniques ou prophétiques. Enfin, dans la tradition chrétienne, le miroir est chargé d’ambiguïté : tantôt associé à la vanité, tantôt vu comme un reflet imparfait du divin, nous rappelant que toute vérité terrestre est partielle et voilée.


Chaque civilisation y projette une fonction sacrée, un lien entre le monde matériel et l’invisible.



Et qu'en est-il dans la littérature, au cinéma ?


« Le cinéma est un miroir qui reflète la complexité de l'âme humaine »

Cédric Klapisch


Dans la culture cinématographique et littéraire, le miroir n’est jamais anodin. Objet de seuil, de vérité ou de vertige, il incarne le plus souvent un point de bascule entre le réel et l’imaginaire, entre soi et l’autre, entre surface et profondeur. En voici quelques exemples :


Dans "Harry Potter" de Chris Columbus, le miroir du Riséd (anagramme de “désir”) révèle les aspirations les plus secrètes de celui qui s’y contemple. Ce n’est plus un reflet fidèle, mais un écho intime de l’âme, un miroir de projection plutôt que de réalité. Il nous interroge sur ce que nous voudrions voir, plutôt que sur ce qui est.


Wikimedia Commons
Wikimedia Commons

Dans "Black Swan" de Darren Aronofsky, les miroirs deviennent les témoins d’une dérive psychologique : ils renvoient une image de soi instable, dédoublée, jusqu’à la confusion identitaire. Le reflet devient ici fracture, annonciateur de folie. Ils traduisent le glissement progressif entre le moi et l’autre, entre la perfection et la perte de contrôle.


Dans "Alice de l’autre côté du miroir" de Lewis Carroll le miroir devient un passage visuel et narratif vers un monde où le temps recule et les repères vacillent. Symbole d’une quête intérieure, il reflète à la fois l’imaginaire et l’identité en mouvement.

Wikimedia Commons
Wikimedia Commons

Dans "Le Miroir" d’Andreï Tarkovski, le miroir est l’un des nombreux motifs récurrents liés à la mémoire, à l’introspection, au temps fragmenté. Le récit navigue entre rêve, souvenir et réalité, et le miroir devient un révélateur silencieux de l’intériorité, un filtre poétique du passé.


Enfin, dans "La Dame de Shanghai" d’Orson Welles, la scène mythique du labyrinthe de miroirs marque un sommet du cinéma noir. Les identités y explosent, littéralement, dans un ballet de reflets brisés et de tirs croisés. Les miroirs y deviennent armes, pièges, illusions : tout s’y reflète, rien n’y est vrai. C’est une mise en abîme vertigineuse de la manipulation, du regard, du mensonge.



DESSINER UN REFLET JUSTE

Entre rigueur géométrique et poésie

On pourrait croire que dessiner un miroir, c’est une formalité. Après tout, il ne s’agit « que » d’un cadre et de ce qu’il reflète. Et pourtant, je peux vous assurer que c’est l’un des exercices les plus délicats que j’ai eu à affronter dans mon travail d’illustration architecturale.


En effet ce que montre un miroir (ou une surface très brillante) dépend entièrement du point de vue, de l’espace environnant, et surtout… de la logique des volumes. Et cette logique, il faut la comprendre, l’anticiper, parfois même l’imaginer avant de la représenter.


Avant les logiciels, l’œil et la logique


Quand j’ai commencé, il y a 25 ans, je n’avais ni moteur de rendu, ni vue en temps réel. Pour intégrer un reflet dans un dessin, je calculais tout à l’œil nu. J’analysais l’orientation, la perspective, la hauteur du regard, l’environnement en face… et je traçais. C’était un savant mélange de rigueur géométrique, de bon sens, et, osons le dire, d’intuition^^. C’est dans ces moments-là que l’expression « avoir le compas dans l’œil » prend tout son sens.


Avec le temps, j’ai affiné ma perception, mais aussi trouvé des méthodes plus souples. Devenue experte sur SketchUp Pro, j’ai pris l’habitude de construire des volumes symétriques provisoires derrière le miroir que je voulais dessiner, pour mieux visualiser ce qui s’y refléterait. C’était ma façon de simuler une image miroir avant l’heure. Un pont entre l’espace 3D et le papier.


Illustration ECARTFIXE - Hall immeuble - Création ici des reflets grâce à ma méthode de 3D provisoire en symétrie
Illustration ECARTFIXE - Hall immeuble - Création ici des reflets grâce à ma méthode de 3D provisoire en symétrie


Aujourd’hui, Enscape… mais toujours avec modération


Désormais, des outils comme Enscape permettent de calculer un reflet en quelques secondes avec une précision bluffante (après avoir méticuleusement construite sa 3D en amont bien sur ;). Je m’en sers ponctuellement, notamment pour calculer des reflets complexes, des jeux de lumière, des matériaux délicats à interpréter et il faut bien le reconnaître : le gain de temps est considérable. Cela dit j’y recours avec parcimonie, comme un outil d’aide à la décision, pas comme un substitut à ma main.


Car ce qui fait la force d’un dessin, ce n’est pas seulement sa justesse technique. C’est sa vibration. Ce petit décalage vivant qu’apporte le geste, ce souffle qui passe dans le trait, ce regard humain qui fait que l’image parle, non seulement à l’œil, mais au cœur.


Garder la main, affûter l’œil


Même si la technologie progresse à une vitesse incroyable, je reste convaincue que l’apprentissage du dessin à la main, la compréhension fine de la perspective, l’exercice du regard sont essentiels pour garder le contrôle sur une image.


Un reflet « juste » n’est pas seulement celui qui respecte la physique : c’est celui qui résonne avec l’espace, avec l’histoire du lieu, avec l’intention du projet. Et dans ce domaine, la main reste irremplaçable :)


CONCLUSION


À travers l’histoire, la géométrie, la culture et l’intuition, le miroir nous interroge autant qu’il nous éclaire. Il ne fait jamais que refléter… mais ce qu’il reflète dépend de celui ou celle qui le regarde. Dans un espace, il peut en révéler la beauté, la complexité, la poésie. Il peut être outil, décor, ou messager. Et dans une illustration sensible, il est tout cela à la fois.


Je finirai cet article, qui m'a littéralement passionnée,

avec ce sage adage gaélique


"le meilleur miroir que nous ayons est le regard d'un ami"


ree

Un grand merci pour votre lecture !

J'espère que vous aurez appris des choses intéressantes^^

si oui n'hésitez pas à me laisser un commentaire


Marie



2 commentaires


Martine Durand
31 août

Encore un sujet super intéressant ! Les miroirs ont toujours été fascinants ! Et connaitre un peu mieux leur histoire et utilisation dans tous les domaines était très instructif et passionnant. Merci à Marie !! 👍 😀

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En réponse à

Merci beaucoup pour ton commentaire ! 🙏 Je suis ravie que ce voyage dans l’histoire et les usages des miroirs t’ait plu^^

C’est un objet qui reflète tant de choses : notre curiosité, notre imagination… et parfois même un peu de nous-mêmes ! Ton enthousiasme me fait vraiment plaisir et me donne envie de continuer à partager ces petites explorations du regard et de la lumière. 🌟

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